Droit de l’animal. Naissance d’une représentation légale des animaux dans le Connecticut ("loi Desmond").

La « Desmond Law » désigne en réalité « la loi relative au soutien des chats et des chiens négligés ou traités de manière cruelle ». Ce texte a été adopté en mai 2016 par le parlement du Connecticut et est entré en vigueur le 1er octobre 2016. Il est couramment appelé « Desmond Law » en souvenir de Desmond, du nom d’« un chien de refuge qui a été affamé, battu et étranglé à mort en 2012 à Branford », selon la presse locale. L’auteur de cette maltraitance n’avait pas alors été condamné à la peine de prison requise par le ministère public et le tribunal avait semblé minimiser ses actes. Plus généralement, il apparut que dans le faible nombre de cas de cruautés à l’égard des animaux dont sont saisies les juridictions pénales du Connecticut, beaucoup de prévenus étaient relaxés ou beaucoup de poursuites annulées pour des questions notamment de preuves de cette cruauté. Ce alors que, et par ailleurs, les actes de cruauté envers les animaux sont des infractions communément admises par les États, au point pour le FBI de les recenser désormais avec la même exigence qu’il recense les infractions contre les biens ou les infractions contre les personnes. La sensibilité à l’égard de la question animale n’explique d’ailleurs pas seule cet aspect de la criminologie contemporaine. Il y a aussi le fait, rapporté par telle ou telle étude, qu’un grand nombre de personnes mises en cause pour de la maltraitance animale l’avaient par ailleurs été pour des violences contre des personnes et, spécialement, pour des violences domestiques.

L’idée a donc germé dans le Connecticut que l’effectivité de la législation pénale protectrice des animaux demandait de doter ces derniers d’une représentation légale dans les affaires concernant leur bien-être. La « loi Desmond » prévoit ainsi que dans les procédures pénales concernant le bien-être ou la garde d’un chat ou d’un chien, le tribunal peut ordonner, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie ou d’un avocat d’une partie, qu’un « représentant légal spécifique » (advocate (*)) soit nommé afin de « représenter les intérêts de la justice ».

Ce « représentant légal spécifique » peut : (1) suivre l’affaire ; (2) consulter toute personne possédant des informations pouvant aider le juge, examiner les dossiers concernant l’état du chat ou du chien, analyser les actes du défendeur, toutes choses pour lesquelles il a droit d’accès aux dossiers des agents de contrôle des animaux, aux dossiers des vétérinaires et à ceux des policiers ; (3) assister à des audiences ; (4) présenter au tribunal des informations ou des recommandations pertinentes et utiles aux « intérêts de la justice » dans l’affaire ayant justifié son intervention. Il revient au tribunal saisi de l’affaire d’ordonner qu’un « représentant légal spécifique » soit nommé pour « représenter les intérêts de la justice ».

Le tribunal le désigne à partir d’une liste fournie par le « ministre de l’agriculture » de l’État, celui-ci devant conserver à cet effet une liste de juristes (professeurs de droit, avocats, étudiants en droit) ayant une connaissance aussi bien du droit que des problèmes qui y sont spécialement liés aux animaux. Ces personnes seront donc admissibles à servir volontairement comme « représentants légaux » des animaux dans les affaires pénales d’atteinte au bien-être des animaux.

Cette innovation législative (le Connecticut est le premier Etat à se doter de ce dispositif légal) n’a cependant pas fait l’objet d’une adhésion unanime de l’opinion puisque certains, dont la plus importante fédération canine américaine (l’American Kennel Club), ont fait valoir qu’elle était de nature à « entraîner une confusion quant à savoir qui est responsable d’un animal et limiter les droits des propriétaires d’animaux, y compris dans les cas où un tiers est accusé d’abus ».

Et, à bien y regarder, la « loi Desmond » cherche en réalité à combler la carence des procureurs dont les politiques d’action publique semblent privilégier les infractions contre les personnes et contre les biens au détriment des infractions contre les animaux (**). De fait, entre 2006 et 2016, 80 % des 3723 cas d’abus ou de cruauté envers les animaux enregistrés par la police dans le Connecticut ont été rejetés ou n’ont pas été poursuivis. De fait, dans les premiers cas d’application de la « loi Desmond », on a constamment vu le ministère public se féliciter du concours des « représentants légaux » des animaux désignés pour l’affaire, avec ce sous-entendu selon lequel le temps et les moyens déployés par ces « avocats de la cause animale » n’étaient pas à la disposition du ministère public et de la police.

La « loi Desmond » a fait l’objet d’une application remarquée à l’échelle nationale le 30 mai 2017. Jessica Rubin, professeure de droit à l’University of Connecticut et qui est inscrite sur la liste des advocates, accompagnée de Taylor Hansen, étudiante en droit (***), avaient alors toutes deux plaidé devant un tribunal dans un cas de combats de chiens (des pit-bulls). L’un des chiens avait été trouvé errant, émacié et avec des traces de blessures. Les deux autres avaient été retrouvés « dans une maison remplie d’excréments d’animaux, de nourriture pourrissante et de preuves de combat entre chiens ». L’un de ces animaux a dû être euthanasié. Aux termes de l’audience, le juge a pris une mesure d’interdiction pour le prévenu de posséder ou de reproduire chez lui des chiens pendant deux ans ainsi qu’une obligation d’accomplir des travaux d’intérêt général pendant une durée de 200 heures. En revanche le juge n’a pas fait droit à une demande particulière de la professeure Jessica Rubin : que le tribunal n’accepte pas la demande du prévenu de bénéficier du dispositif spécial qui permet aux individus poursuivis pour la première fois pour certaines infractions de voir leurs condamnations être effacées de leur « casier pénal » dans un certain délai.

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(*) Un advocate peut être ou ne pas être un avocat (attorney).

(**) On gardera à l’esprit que l’on est ici dans un système pénal dans lequel les associations ne peuvent pas mettre en mouvement l’action publique comme cela est possible en France pour différentes infractions.

(***) Les cours de « droit de l’animal » se sont généralisés aux États-Unis dans les années 2000, passant d’une offre de neuf facultés à plus de 150 de nos jours. On parle bien ici de cours et non de diplômes puisque à la différence de la France où l’on multiplie les diplômes en droit, les Américains pour leur part renouvellent leur « offre pédagogique » à l’intérieur d’une liste très réduite de diplômes en droit dans laquelle les diplômes spécialisés sont eux-mêmes très réduits, pour toutes sortes de raisons. Aussi est-ce avec circonspection que l’on voit fleurir depuis peu en France des diplômes de toutes sortes en « droit de l’animal » ou en « droit des animaux », de la même manière que l’on avait vu fleurir avec circonspection des « cliniques du droit » par imitation des États-Unis. Elles existent toujours aux États-Unis et y fonctionnent toujours bien. En France en revanche elles sont passées de mode, pour des raisons trop longues à expliciter. Simplement gardera-t-on à l’esprit que sans avoir spécialement des diplômes juridiques spécialisés, les Américains éditent un nombre considérable de travaux sur le « droit de l’animal » ou les « droits des animaux », à la faveur notamment d’un mécénat universitaire unique au monde : à la lecture du New York Times, l’on a appris qu’un don d’un million de dollars avait été fait à différentes facultés de droit par Bob Barker, ancien animateur de la non moins célèbre émission de télévision The Price Is Right, en vue de la poursuite et de l’édition de travaux relatifs au droit de l’animal. De la même manière qu’en 2016, le philanthrope Jeff C. Thomas a fait un don d’un million de dollars au programme de recherche sur le droit de l’animal de la Harvard Law School . Les différentes facultés de droit ainsi dotées ont une chose en commun : elles ont été pionnières, avant-gardistes, anticipatrices.

Photo : Jessica Rubin et Taylor Hansen au tribunal (Associated Press)

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