La transition présidentielle aux États-Unis est un processus hautement codifié, conçu pour garantir une passation de pouvoir fluide entre les administrations. Cependant, ce processus est également un terrain de tensions politiques, de décisions stratégiques et de réformes structurelles qui prennent encore plus d’importance au regard du style et de la personnalité de Donald Trump.
Des conflits d’intérêts entre le président et l’homme d’affaires
Conformément à la loi américaine, chaque président élu doit soumettre une déclaration d’éthique dans laquelle il s’engage à éviter tout conflit d’intérêts pendant son mandat. Cependant, Donald Trump n’a toujours pas satisfait à cette obligation. Son manque de transparence concernant ses affaires commerciales soulève des inquiétudes, y compris parmi ses alliés politiques. Ces préoccupations portent principalement sur l’ampleur de ses investissements dans l’immobilier et ses liens avec des entreprises à l’étranger, ce qui suscite des doutes quant à l’intégrité de ses décisions, notamment dans le contexte de sa future politique étrangère.
L’un des principaux reproches est que ses affaires personnelles risquent de constituer une source de conflits d’intérêts, d’autant plus que, désormais à la tête de la plus grande puissance mondiale, il doit exercer des responsabilités qui affectent directement les affaires internationales. Cette question éthique, bien qu’elle reste partiellement non résolue, constituera un point d’attention tout au long de son mandat et contribuera à un climat de méfiance sur son administration.
Des nominations tous azimuts
Un autre aspect majeur de la transition présidentielle est la sélection des collaborateurs de Donald Trump. Le président élu a commencé de mettre en place une équipe qui reflète ses propres valeurs et ses priorités politiques. Ses nominations, loin de suivre la tradition des cabinets présidentiels précédents, privilégient des personnalités extérieures à la classe politique traditionnelle, en accord avec son discours de candidat anti-establishment. Certains choix de nominations s’inscrivent ainsi dans sa volonté de réformer l’administration fédérale en s’appuyant sur des « outsiders », et non sur les figures habituelles du système.
Donald Trump choisit des figures emblématiques issues des milieux conservateurs ou des secteurs qu’il connaît bien, comme l’immobilier et la télévision. Par exemple, il annonce la nomination de Thomas Homan, ancien directeur par intérim de l’Immigration and Customs Enforcement (ICE), comme « tsar de la frontière ». Cette désignation, bien qu’elle ne nécessite pas la confirmation du Sénat, symbolise sa volonté de durcir la politique migratoire, un sujet phare de sa campagne.
Il a choisi Pete Hegseth, un ancien militaire et commentateur politique, comme secrétaire à la Défense. Hegseth, né en 1980, a servi dans l’Armée de terre des États-Unis, où il a été déployé en Irak et en Afghanistan. Après sa carrière militaire, il est devenu un visage connu des médias, notamment sur Fox News, où il a participé à l’émission Fox & Friends. Connu pour ses positions conservatrices, en particulier sur les questions de défense et de sécurité nationale, Hegseth a souvent critiqué l’approche des administrations démocrates en matière de politique militaire.
Donald Trump a également désigné l’ex-gouverneur de l’Arkansas, Mike Huckabee, comme ambassadeur des États-Unis en Israël. Huckabee, une figure influente du Parti républicain et un ardent défenseur de la politique étrangère de Trump au Moyen-Orient, devrait renforcer les liens entre les États-Unis et Israël, un partenaire stratégique clé dans la région.
En outre, le nouveau président a choisi John Ratcliffe, un membre républicain de la Chambre des représentants, comme prochain directeur de la CIA. Ratcliffe, un partisan de Trump, est perçu comme un choix qui pourrait apporter une approche plus politique à l’agence de renseignement, suscitant des inquiétudes sur l’indépendance de la CIA.
Donald Trump a désigné plusieurs autres personnalités aux postes clés de son gouvernement. Parmi elles, Marco Rubio, sénateur républicain de Floride, est pressenti pour le poste de secrétaire d’État. Cette nomination, si elle se concrétise, vise à renforcer ses liens avec le Congrès et à apaiser les tensions avec des membres de son propre parti qui sont restés sceptiques à son égard pendant la campagne. D’autres figures politiques de l’aile droite du Parti républicain, comme Mike Waltz et Kristi Noem, sont aussi envisagées pour des fonctions stratégiques, notamment à la sécurité nationale et à la sécurité intérieure.
Le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, a annoncé que Trump ne nommera pas de républicains supplémentaires de la Chambre à son administration pour le moment. Cette décision fait suite à des préoccupations sur le maintien de la majorité républicaine à la Chambre, une institution qui est déjà fragilisée par des divisions internes au sein du parti républicain. L’inquiétude est que des nominations excessives de républicains à des postes exécutifs puisent nuire à la capacité du Parti républicain de garder une influence législative.
Des relations avec le Sénat
Les relations avec le Sénat sont devenues un sujet de tension. Désireux de nommer rapidement ses collaborateurs, Donald Trump exprime son intention d’exercer une pression sur le Sénat républicain pour qu’il permette la nomination de fonctionnaires, procureurs et juges fédéraux sans attendre la confirmation formelle. Ces nominations se feraient par le biais des « Recess appointments », une procédure qui permet au président de nommer certains fonctionnaires pendant les intersessions parlementaires, sans avoir besoin de l’approbation du Sénat.
Cependant, cette volonté de contourner les processus traditionnels inquiète certains sénateurs républicains, qui redoutent une concentration excessive de pouvoir entre les mains du président. L’idée de ne pas passer par la procédure habituelle de confirmation soulève des questions sur la préservation de l’équilibre des pouvoirs et sur le rôle de contrôle du Sénat. Certains craignent également que cela ne fragilise la séparation des pouvoirs et mette en péril la transparence dans le processus de nomination.
Les démocrates entendent pour leur part profiter de la période de transition pour accélérer la confirmation des juges fédéraux nommés par le président sortant Joe Biden. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie visant à conserver une majorité libérale dans les tribunaux fédéraux avant l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche. L’objectif est de maintenir une influence judiciaire progressive sur des questions clés, comme les droits civiques et la régulation environnementale, durant les années à venir. Ces efforts soulignent l’importance stratégique de la nomination de juges fédéraux, qui façonne la politique du pays bien au-delà de la durée d’un mandat présidentiel.
La création d’un Warrior Board et la question de la neutralité politique des armées
La sécurité nationale, en particulier le rôle de l’armée, devient une autre question centrale lors de la transition présidentielle. Des conjectures existent sur la volonté de Donald Trump d’utiliser l’armée pour imposer sa volonté sur certains aspects de la politique intérieure, notamment en matière de maintien de l’ordre. Ces spéculations font naître des inquiétudes au sein du Pentagone, où des discussions informelles ont lieu pour se préparer à l’éventualité que Trump prenne des mesures controversées, comme le déploiement de troupes sur le sol américain pour gérer des crises internes.
En matière militaire, Donald Trump propose de créer un « Warrior Board », un conseil composé de militaires retraités. Ce conseil aurait pour mission de recommander la destitution de responsables militaires jugés incompétents ou inadaptés à leurs fonctions. Bien que cette initiative soit perçue par certains comme une tentative de renforcer l’influence du président sur l’armée, elle soulève des préoccupations sur la « militarisation » du gouvernement et les risques d’ingérence politique dans les décisions militaires. Les critiques craignent que cela ne compromette l’indépendance de l’armée et n’entraîne une pression politique sur des responsables militaires dans l’exercice de leurs fonctions.
Les préoccupations sont aussi alimentées par des rumeurs concernant des purges potentielles au sein des forces armées. En effet, certains fonctionnaires militaires, réputés apolitiques, expriment leurs craintes d’être renvoyés si leurs opinions divergent des directives politiques du nouveau président. Cette situation met en lumière le défi de maintenir l’indépendance et la neutralité de l’armée face à une administration qui pourrait vouloir contrôler davantage les institutions publiques.
Emphase sur l’antienne de la « simplification de l’administration et du droit »
Au-delà des nominations, une autre initiative importante de la transition de Trump est la création d’un nouveau département appelé le « Department of Government Efficiency » (Département de l’Efficacité du Gouvernement). Ce ministère, confié à des personnalités extérieures comme Elon Musk et Vivek Ramaswamy, a pour objectif de réformer les structures gouvernementales pour les rendre plus efficaces et économiquement responsables. Bien que les détails exacts du projet demeurent flous, il s’inscrit dans la volonté de Trump de rationaliser l’administration fédérale et de limiter les gaspillages.
Les critiques de cette initiative soulignent que la nomination de dirigeants externes, sans expérience gouvernementale, pourrait rendre difficile la mise en œuvre de réformes efficaces au sein d’un gouvernement complexe. De plus, cette initiative soulève des questions sur l’influence d’acteurs privés dans les décisions publiques, un thème récurrent dans la gestion de Trump, qui privilégie l’outsourcing et la participation de grandes entreprises à la gestion de l’État.
13 novembre 2024